Depuis une trentaine d'années, ils sont de toutes les guerres, ou presque. Afghanistan, Libye, Centrafrique, Côte d'Ivoire, ex-Yougoslavie, Sahel : les hélicoptères des forces françaises sont déployés en permanence en opérations extérieures, sur des théâtres très exigeants. Sur les quelque 300 hélicoptères de l'ALAT (Aviation légère de l'armée de terre), une cinquantaine est en alerte permanente, et une vingtaine déployée au Sahel dans le cadre de l'opération Barkhane. Leurs missions ? Très larges : renseignement, appui feu, extraction de soldats, frappes sur des groupes terroristes, manœuvres aéroterrestres. "L'hélicoptère permet d'entrer en premier sur un théâtre, avec un très faible préavis, et de frapper rapidement un ennemi en s'affranchissant des obstacles au sol", résume le général Bertrand Vallette d'Osia, patron de l'ALAT.

 

Des hélicoptères de l'ALAT (Tigre et Cougar) se sont encore distingués les 6 et 7 février en mettant hors de combat, soutenus par un drone Reaper et des Mirage 2000, une trentaine de djihadistes dans la zone dite "des trois frontières", entre Mali, Burkina Faso et Niger. Quelques semaines plus tôt, dans la nuit du 20 au 21 décembre, un assaut héliporté, réalisé de nuit par plusieurs dizaines de commandos appuyés par des hélicoptères Tigre, mettait 33 terroristes hors de combat. "Couteau suisse des armées, la composante hélicoptères joue un rôle stratégique majeur, soulignait un rapport du sénateur Dominique de Legge publié mi-2018. Elle s'est en particulier avérée indispensable pour les forces spéciales, dans le cadre de l'opération Sabre, et plus généralement en bande sahélo-saharienne (BSS), dans le cadre de l'opération Barkhane. En effet, l'utilisation des hélicoptères permet une grande mobilité et est indispensable pour l'exploitation, dans des délais très brefs, du renseignement."



Essentielles au dispositif français au Sahel, les missions des "ALATmen" sont aussi périlleuses. Les Tigre et autres NH90 Caïman volent à 250 km/h, le plus souvent à 40-50 mètres du sol, et à quelques dizaines de mètres les uns des autres. Déjà délicats de jour, ces vols tactiques le sont encore plus de nuit, des missions qui représentent 15 à 30% des sorties. Un accident n'est jamais exclu, comme l'a montré la collision du 25 novembre dernier entre un Tigre et un Cougar. En s'apprêtant à engager de nuit des groupes terroristes en pick-up et en moto, les deux hélicoptères français sont entrés en collision dans le Liptako malien, tuant les 13 occupants des deux appareils. "Un traumatisme pour la grande famille de l'ALAT, reconnaît le général Vallette d'Osia. Nous savons tous que nous faisons un métier dangereux. Mais il faut repartir de l'avant."

Le Guépard en vue

Repartir de l'avant, c'est notamment continuer la modernisation de la flotte, dont une partie commence à sérieusement fatiguer. Pour remplacer ses antiques Gazelle (33 ans de moyenne d'âge) et ses préhistoriques Puma (44 ans en moyenne), l'armée de terre passe peu à peu à la nouvelle génération : elle dispose désormais de 56 hélicoptères d'attaque Tigre, et de 44 hélicoptères de manœuvre Caïman. "La moitié de la flotte a déjà été renouvelée, on tient le bon bout, assure le général Bertrand Vallette d'Osia. Au-delà du remplacement des appareils, il faut aussi repenser leur emploi : on ne fait pas la même chose aujourd'hui avec un Tigre qu'hier avec une Gazelle." 

L'étape suivante sera l'arrivée du Guépard, hélicoptère interarmées léger (HIL), dont les premières livraisons sont attendues en 2026. L'ALAT attend 80 exemplaires de cette version militaire du H160 d'Airbus Helicopters. "Le Guépard permettra d'effectuer avec un même appareil des missions de feu, de reconnaissance, de transport", explique le patron de l'ALAT. Il permettra également de mettre progressivement au rebut les vieilles Gazelle, même si celles-ci ont encore de belles années devant elles. "C'est une machine qui a très bien vieilli, assure le général Vallette d'Osia, lui-même pilote de Gazelle. Nous n'en attendons pas moins avec impatience l'arrivée du Guépard."



Faut-il compléter la panoplie avec des hélicoptères lourds, type Chinook ? Le Commandement des opérations spéciales (COS) et l'armée de l'air appellent régulièrement à l'acquisition (ou à la location) de telles machines, soulignant la dépendance française aux Chinook britanniques au Sahel. Mais le commandant de l'ALAT ne se montre guère enthousiaste. "D'abord, ce sont des machines qui coûtent cher, explique-t-il. Ensuite, nous sommes des spécialistes des hélicoptères moyens, des vols tactiques, donc rapides et manœuvrants. L'hélicoptère lourd ne répond pas à ce besoin. Il est utile pour les acheminements en opérations. Mais ça, ce n'est pas notre métier."

Disponibilité trop faible

Avant même de songer à d'éventuels hélicoptères lourds, l'armée de terre doit composer avec une flotte d'hélicoptères hétéroclite (huit types d'appareils différents), et une disponibilité encore bien trop basse. Selon les derniers chiffres obtenus par la députée François Cornut-Gentille, les taux de disponibilité des engins de l'ALAT oscillaient entre 27 et 46% en 2018. En clair, entre la moitié et les deux tiers des engins de l'armée de terre sont indisponibles. Le Tigre, un appareil pourtant récent, plafonnait à 28-30% de disponibilité. Le Caïman, lui aussi de dernière génération, ne dépassait pas 30,4%. Seule la bonne vieille Gazelle surnageait, malgré son âge avancé, avec 46,2% de disponibilité. 

Les causes de ces mauvais chiffres sont multiples : hétérogénéité de la flotte, organisation complexe de la maintenance, mauvaise interface entre armée et industriels, défaillance de certains prestataires privés et structures de maintenance des armées… L'ALAT en est réduite à bricoler. Elle arrive à maintenir un taux de disponibilité supérieur à 70%, voire 80% en OPEX, mais c'est souvent au détriment de la disponibilité des engins en métropole, et donc de l'entraînement des équipages.

Pour briser le cercle vicieux, la ministre des Armées Florence Parly a lancé en décembre 2017 une grande réforme du maintien en condition opérationnelle (MCO) des hélicoptères. L'idée est de renforcer la coordination entre les armées et les industriels, et d'identifier pour chaque appareil un maître d'œuvre unique, responsable des coûts et des délais. "Evidemment, nous voudrions plus de disponibilité, mais le système, globalement, remonte en puissance", assure le général Vallette d'Osia. Si les chiffres de disponibilité de 2019 ne sont pas encore connus, les heures d'entraînement, un autre indicateur essentiel, sont reparties à la hausse. "De 154 heures d'entraînement par pilote et par an, nous sommes repassés à 171 heures en 2019, et visons 200 heures à la fin de la loi de programmation militaire en 2025 (220 heures pour les pilotes des forces spéciales)", assure le COMALAT.

Référence mondiale

Malgré les tensions sur le matériel et les équipages, le patron de l'ALAT assure que l''aérocombat' à la française est devenu une référence mondiale. Il ne s'agit plus seulement d'appuyer les troupes au sol, mais de manœuvrer en synergie avec l'infanterie et la cavalerie, pour surprendre et désorienter l'ennemi. "Nos résultats en opérations sont reconnus dans le monde entier, indique le général Vallette d'Osia. Même les Américains sont très intéressés par ce que nous faisons." Les ALATmen ont déjà montré leur flexibilité. En 2011, les hélicoptères de l'ALAT avaient été déployés depuis le porte-hélicoptères Tonnerre : en 41 raids donnant lieu à 316 sorties, les hélicoptères (Gazelle et Tigre) avaient tiré 425 missiles HOT, 1618 roquettes et 13.500 obus, détruisant 600 cibles militaires, dont 400 véhicules. Une bonne partie des frappes avaient été effectuées par nuit sans lune, à l'aide de jumelles de vision nocturnes.



L'ALAT, créée en 1954, est une véritable PME au sein de l'armée de terre. Elle intègre notamment trois régiments d'hélicoptères de combat (1er, 3e et 5e RHC), un régiment d'hélicoptères des forces spéciales (4e RHFS, dépendant du Commandement des opérations spéciales pour son emploi), une école dédiée (Ecole de l'aviation légère de l'armée de terre), un régiment de soutien (9erégiment de soutien aéromobile), et un petit détachement d'avions dédiés à l'aide au commandement (8 TBM700). Avec 220 équipages opérationnels, 5.000 militaires dont environ 2.500 mécaniciens, elle réalise 75.000 heures de vol par an.

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